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Retour à la chronologie

L’année 2012

2012

STRATFOR ET LES ANONYMOUS

28 février. WikiLeaks diffuse plus de cinq millions de documents internes de la firme de renseignement Stratfor (Strategic Forecasting Inc.) rédigés entre juillet 2004 et décembre 2011. Ces « Global Intelligence Files » donnent un éclairage sur les méthodes de cette « CIA fantôme » au service de grosses entreprises et du gouvernement US. Ainsi l’espionnage de militants écologistes à Bhopal (Inde), des activistes d’Occupy Wall Street et des hackers d’Anonymous pour le compte de Washington ; des altermondialistes de Yes Men pour Dow Chemical ; l’organisation de défense des animaux PETA (Canada) avant les Jeux olympiques de Vancouver par Coca-Cola, sponsor de l’événement. Ces documents révèlent aussi dans quel esprit travaille Stratfor, dont le vice-président Fred Burton écrit à propos d’Assange : « Il faut d’abord ruiner ce trou du cul. Lui coller sept à douze ans pour complot » ; « Trimbalez-le d’un pays à l’autre pour faire face à diverses accusations pendant les vingt-cinq prochaines années. Mais saisissez tout ce que lui et sa famille possèdent, sans oublier ceux liés à WikiLeaks » 37.

5 mars. Dénoncé par un autre hacker (menacé par le FBI de 120 ans d’emprisonnement), Jeremy Hammond, membre de la faction LulzSec des Anonymous, est arrêté pour le piratage de Stratfor – première phase d’une opération de dévoilement de la surveillance dans le monde, les « Spy Files » (2011-2014). Hammond plaide coupable, mais refuse de témoigner contre Assange. Il passera sept ans en prison.

17 avril. Assange produit « The World Tomorrow », une émission diffusée sur la chaîne anglophone Russia Today, où il mène des entretiens avec des personnalités internationales comme le linguiste Noam Chomsky, le président équatorien Rafael Correa, l’ancien prisonnier de Guantánamo Moazzam Begg, le secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah. À la suite du New York Times et du Monde, de nombreux médias raillent Assange, voyant dans cette collaboration une « déchéance » et un ralliement à la Russie.

DANS L’ASILE-PRISON DE L’AMBASSADE D’ÉQUATEUR À LONDRES

30 mai. Malgré l’absence de toute charge criminelle, la Cour suprême du Royaume-Uni se prononce pour l’extradition d’Assange vers la Suède. La loi britannique sera modifiée pour rendre impossible ce type de décision mais avec une clause de « non rétroactivité » afin qu’Assange ne bénéficie pas de ce changement de loi.

19 juin. Assange casse son bracelet électronique et se réfugie à l’ambassade d’Équateur à Londres, aussitôt soumise à un dispositif quotidien de surveillance policière. Il y restera confiné pendant sept ans, dans des locaux exigus et sans accès à la lumière du Soleil.

S’il conteste le mandat d’arrêt suédois, Assange accepte d’être entendu à distance (téléphone, vidéoconférence) ou à l’ambassade par la procureure Marianne Ny ou des représentants de celle-ci. Ces procédures courantes lui sont systématiquement refusées.

5 juillet. WikiLeaks publie les « Syria Files » : 2,3 millions de courriels écrits entre août 2006 et mars 2012. Touchant 680 personnalités politiques syriennes et patrons de sociétés soutenant le président Bachar el-Assad, ces révélations sont aussi embarrassantes pour le pouvoir que pour ses opposants.

12 juillet. WikiLeaks gagne son procès contre Valitor (ex-Visa Iceland).

La justice ordonne la levée de l’embargo des sociétés de cartes de crédit et des banques obéissant aux injonctions de Washington 38.

24 juillet. L’ancien juge d’instruction espagnol Baltasar Garzón dirige désormais l’équipe de défense de WikiLeaks et de son fondateur. Célèbre pour avoir fait arrêter l’ancien dictateur chilien Augusto Pinochet en 1998, Garzón a été condamné en février 2012 à onze ans d’interdiction d’exercer pour avoir ordonné des écoutes jugées illégales dans une enquête sur un réseau de corruption qui a éclaboussé la droite espagnole en 2009 (affaire « Gürtel ») 39.

8 août. WikiLeaks subit pendant quelques jours une attaque par déni de service, « DDoS attack », qui empêche toute connexion à son site ainsi qu’au Fonds de défense de la neutralité du net (FDNN ou FDN²), la plateforme française qui récolte les dons.

16 août. Assange obtient l’asile politique de l’Équateur sous la présidence de Rafael Correa.

19 août. Assange fait une première apparition sur le balcon de l’ambassade équatorienne à Londres, saluant le courage et l’indépendance du pays qui lui donne asile et demande au gouvernement états-unien d’arrêter sa « chasse aux sorcières ».

Malgré les conditions de surveillance policière et l’exiguïté des locaux de l’ambassade, Assange reçoit des visites de soutiens et donne des entretiens aux médias internationaux.

— L’année 2012 aura été marquée par une significative « prise de distance » d’une grande partie de la presse internationale, qui avait pourtant largement profité, depuis 2006, des révélations de WikiLeaks dans un contexte de perte de vitesse de la presse écrite face à l’essor d’Internet et d’une réduction notable des moyens pour enquêter « à l’ancienne ».

Plutôt que l’affirmation d’un soutien et la reconnaissance d’une dette, les sujets évoquant Julian Assange dans la grande presse sont désormais associés aux termes « controversé » ou « irresponsable » et évoquent systématiquement « une affaire de viol et d’agression sexuelle présumée » 40.


37. Cité par Delphine Noels, « Julian Assange, une vie. Épisode 26 », POUR, 26 décembre 2020.
38. Lire Julien Lausson, « WikiLeaks remporte un procès contre MasterCard et Visa », Numerama, 13 juillet 2012.
39. Le 26 août 2021, le comité des droits de l’homme de l’ONU a qualifié d’« arbitraires » les procès intentés contre Baltasar Garzón.
40. Lire également « Quelques questions (relativement simples) à la presse au sujet de Julian Assange », supra, p. 132 et « Le Monde soutient Julian Assange comme la corde soutient le pendu », supra, p. 153.


Avec l’aimable autorisation de l’auteur © Hacking Justice (Livre + Film en téléchargement)