2017
UNE PRIORITÉ POUR LES ÉTATS-UNIS
Janvier. WikiLeaks tweete : « La promesse non tenue de Trump sur la publication de sa déclaration d’impôts est encore plus injustifiable que Clinton cachant ses discours pour Goldman Sachs » ; et lance un appel pour obtenir la déclaration d’impôts que le nouveau président refuse de rendre publique malgré sa promesse de campagne.
Les démocrates et leurs soutiens internationaux n’en démordent pas : en révélant, pendant la campagne, des documents compromettants pour la candidate Hillary Clinton, les « Democratic National Committee Leaks », plutôt que de les cacher aux yeux des électeurs, WikiLeaks a aidé Trump à gagner les élections.
À l’accusation d’ingérence russe, Assange répond que « les sources de WikiLeaks en ce qui concerne les courriels de Podesta et la fuite du DNC ne sont membres d’aucun gouvernement, ne sont pas des acteurs étatiques et ne proviennent pas du gouvernement russe ». WikiLeaks réfute également avoir publié quoi que ce soit d’un certain « Guccifer 2.0 » qui prétend être à l’origine du piratage.
Mars. WikiLeaks publie une série de documents de la CIA sur la surveillance électronique et la cyber-guerre regroupés sous l’intitulé « Vault7 ». On y apprend comment la CIA a illégalement piraté les ordinateurs sous Microsoft Windows et Apple, les systèmes iOS et Androïd (c’est-à-dire tous les smartphones), et transformé les Smart TV de Samsung en appareils d’écoute ; comment la CIA entre discrètement dans les messageries cryptées, dont WhatsApp (non sécurisée) mais aussi Telegram et Signal (réputées l’être).
La CIA déplore ces révélations qui « non seulement mettent en danger le personnel et les opérations américaines, mais aussi fournissent à nos adversaires des outils et des informations pour nous nuire », et justifie l’espionnage des citoyens ainsi : « Le public américain devrait être profondément troublé par toute divulgation de WikiLeaks conçue pour altérer la capacité de la communauté du renseignement à protéger l’Amérique des terroristes et autres adversaires. »
21 avril. Le ministre US de la Justice Jefferson « Jeff » Sessions fait de l’arrestation d’Assange une « priorité » pour les États-Unis.
17 mai. L’administration Obama ayant commué sa peine le 17 janvier pour rendre possible sa libération anticipée, Chelsea Manning sort de prison sept ans après sa première arrestation. En échange, Washington attend qu’elle témoigne contre WikiLeaks et Assange.
C’est aussi une tentative pour coincer ce dernier, qui s’est engagé à accepter son extradition si Manning était graciée (ce qui n’est toujours pas le cas) et si ses droits étaient garantis (ce qui n’a toujours pas été fait).
19 mai. La Suède classe sans suite la plainte déposée contre Assange pour « délits sexuels ». Si le dossier peut être rouvert jusqu’à sa prescription en août 2020, le mandat d’arrêt européen est levé.
UN HÔTE TRÈS ENCOMBRANT
24 mai. Ancien vice-président de Rafael Correa, Lenín Moreno, qui lui succède à la tête de la République d’Équateur, trahit rapidement ses promesses de campagne et s’aligne sur la politique de Washington.
Moreno prévient Assange, qualifié de « caillou dans la chaussure », que, s’il veut rester dans l’ambassade d’Équateur à Londres, il ne doit plus faire de politique ni même tweeter.
3-5 juin. Ancienne linguiste cryptographe de l’US Air Force, Reality Winner, 26 ans, est arrêtée pour la fuite de documents de la NSA en rapport avec les accusations d’ingérence russe dans l’élection de Donald Trump, qu’elle avait transmis au site The Intercept.
WikiLeaks appelle à soutenir la lanceuse d’alerte et offre une récompense de 10 000 dollars pour des informations sur le journaliste de The Intercept qui a trahi sa confiance et permis son identification 53.
19 septembre. En partenariat avec Mediapart et La Repubblica, WikiLeaks publie la série des « Spy Files Russia », trente-quatre documents de la société russe Peter-Service qui fournit notamment des dispositifs de facturation aux opérateurs de téléphonie, mais aussi un service de surveillance aux services secrets (FSB) et au ministère de l’Intérieur.
Que la diffusion de ces révélations se poursuive jusqu’en mars 2018, en pleine élection présidentielle en Russie, n’empêche pas WikiLeaks d’être toujours accusé d’être « pro-russe ».
30 novembre. L’écologiste féministe anti-militariste Katrín Jakobsdóttir est nommée Premier ministre d’Islande. Dans la lignée des propositions du Parti pirate, elle défend à son tour une loi très protectrice pour les lanceurs d’alerte.
12 décembre. Devenu un hôte très encombrant, Assange est naturalisé par l’Équateur, qui demande au Royaume-Uni de le considérer comme un diplomate et lui accorder le droit de sortir librement – une façon comme une autre de s’en débarrasser. Mais le Royaume-Uni refuse.
Ne pouvant toujours pas sortir de l’ambassade sans risquer d’être arrêté, Assange reste en permanence surveillé par Scotland Yard et, on l’apprendra le 10 avril 2019 à la veille de son expulsion de l’ambassade lors d’une conférence de presse de WikiLeaks, espionné par des caméras et des micros cachés jusque dans les toilettes de l’ambassade par la société de sécurité espagnole UC Global. Il apparaît que ce sous-traitant du gouvernement équatorien a travaillé en secret pour les États-Unis ; son dirigeant, David Morales, remettait personnellement les enregistrements tandis qu’il versait tous les mois 20 000 euros en espèces à la responsable de la sécurité de l’ambassade pour s’assurer qu’elle fasse des rapports favorables à la poursuite du contrat d’UC Global.
On apprendra aussi des témoignages anonymes d’anciens employés d’UC Global l’existence de plans pour empoisonner Assange ou le kidnapper, tandis que ses avocats aussi étaient visés et surveillés 54.
53. Lire Joe Uchill, « WikiLeaks offers $10,000 to get Intercept reporter fired », The Hill, 6 juin 2017.
54. Lire également « Les amis américains… », supra, p. 92. Voir Julian Assange l’homme traqué, op. cit., p. 205 et le reportage d’Étienne Huver et Marina Ladous Global Assange, Slug News, Arte France, 2019.
Avec l’aimable autorisation de l’auteur © Hacking Justice (Livre + Film en téléchargement)