2019
11 avril. Déchu de sa nationalité équatorienne, Assange est interpellé dans l’enceinte même de l’ambassade où il est reclus depuis six ans et dix mois. Exfiltré de force et porté par des policiers, sa silhouette à la barbe blanche sera très commentée. L’ambassade livrera tous ses effets personnels aux États-Unis, dont sa stratégie de défense.
Qualifiant son successeur Lenín Moreno de « plus grand traître de l’histoire équatorienne et de l’Amérique latine », Rafael Correa, fidèle soutien d’Assange, note : « C’est la première fois dans l’histoire qu’on arrête quelqu’un dans une ambassade, c’est un crime que l’humanité n’oubliera pas 57. »
Déclarant Assange coupable d’avoir violé les termes de sa libération conditionnelle en brisant son bracelet électronique, le juge Michael Snow le fait incarcérer dans la prison de haute sécurité de Belmarsh, construite dans la banlieue de Londres pour les terroristes et autres grands criminels condamnés à des peines lourdes.
À la demande d’une des plaignantes, la justice suédoise rouvre le dossier d’Assange pour « délits sexuels ».
EN PRISON POUR « LA VÉRITÉ »
19 avril. Le département de la Justice des États-Unis publie le rapport final du procureur spécial Robert Mueller chargé d’enquêter sur les soupçons de collusion entre Moscou et l’équipe de campagne de Donald Trump en 2016. Après deux ans d’enquête pour un coût de 35 millions de dollars, aucune preuve d’implication de la Russie dans les publications de WikiLeaks n’a été apportée 58.
1er mai. Pour avoir rompu son bracelet électronique, Assange est condamné à la lourde peine de cinquante semaines de prison.
9 mai. Le rapporteur spécial des Nations unies sur la torture Nils Melzer et deux experts médicaux indépendants diagnostiquent chez Assange une anxiété chronique et des traumatismes psychologiques intenses typiques de la torture psychologique 59.
Pendant les mois qui suivent, de nombreux observateurs, et en particulier un collectif de médecins, appellent à mettre un terme à la « persécution collective dont Julian Assange est victime » après avoir constaté une inquiétante dégradation de sa santé physique et mentale du fait de l’isolement et du stress intense lié aux menaces qui pèsent sur lui 60.
13 mai. Assange écrit une lettre au journaliste britannique indépendant Gordon Dimmack : « J’ai été privé de toute capacité à préparer ma défense, sans ordinateur, sans Internet, pas de bibliothèque jusqu’à présent ; et même si j’y avais accès, ce ne serait qu’une fois par semaine et pour une demi-heure avec tous les autres détenus. Pas plus de deux visites par mois, et il faut des semaines pour inscrire quelqu’un sur la liste des visiteurs, à condition de fournir toutes leurs coordonnées pour qu’ils fassent l’objet d’une enquête de sécurité. Ensuite, tous les appels, à l’exception de ceux des avocats, sont enregistrés et d’une durée maximale de dix minutes sur une période limitée de trente minutes par jour pendant laquelle tous les détenus se disputent le téléphone. Et le crédit ? Juste quelques livres sterling par semaine ; et personne ne peut appeler de l’extérieur. En face ? Une superpuissance qui se prépare depuis neuf ans et qui a affecté à cette affaire des centaines de personnes et dépensé des millions. Je suis sans défense et je compte sur vous […] pour me sauver la vie. […] En fin de compte, tout ce que nous avons, c’est la vérité 61. »
16 mai. Chelsea Manning est réincarcérée à la suite de son refus de témoigner dans l’enquête à charge sur WikiLeaks et Assange.
23 mai. Pour éviter qu’Assange ne soit libéré après avoir purgé ses cinquante semaines de prison, le grand jury états-unien, qui se réunit secrètement depuis 2018, l’inculpe formellement de dix-huit chefs d’accusation essentiellement fondés sur l’Espionage Act de 1917 qui est une loi interne aux États-Unis. Assange alerte depuis des années sur le fait que « si on peut projeter ses propres lois sur le territoire d’un autre pays », c’est une façon très affichée de faire pression sur des journalistes étrangers qui osent critiquer la politique des États-Unis et que « cela ressemble à une occupation physique » des pays concernés 62.
Assange est accusé par les États-Unis d’avoir aidé Manning à craquer un mot de passe pour accéder aux documents classifiés. Avec ce point juridique, qui permet de dénier à Assange son statut de journaliste, les procureurs cherchent à contourner le premier amendement qui protège la liberté d’informer aux États-Unis. Le soutien des médias qui ont bénéficié des révélations de WikiLeaks est donc essentiel et leur attitude envers Assange en dit long sur leur degré d’indépendance.
30 mai. Très affaibli par ses années de confinement dans l’ambassade d’Équateur, privé de Soleil, d’air frais, de déplacements et de soins médicaux appropriés, Assange est transféré dans l’aile médicale de la prison de Belmarsh 63.
Juin. En préparation des audiences d’extradition d’Assange, les États-Unis présentent une nouvelle série de charges (hors délai) alors que les témoins appelés à la barre ont déjà rédigé leurs témoignages sur la base des dix-huit charges initiales. La juge Baraitser refuse d’accorder un délai à la défense pour y répondre. Elle reprend les arguments de l’équipe juridique US.
1er novembre. Le rapporteur spécial des Nations unies sur la torture Nils Melzer prévient que « l’exposition continue de M. Assange à l’arbitraire et aux abus pourrait bientôt lui coûter la vie 64». Aucun sauf-conduit nécessaire à son hospitalisation ne sera toutefois délivré.
19 novembre. Neuf ans après les événements, la justice suédoise clôt définitivement le chapitre de l’accusation de « délits sexuels » qui a ruiné la réputation d’Assange, mais cette information intéresse moins les médias.
57. Voir Global Assange, op. cit., p. 240.
58. Lire Aaron Maté, « CrowdStrikeOut: Mueller’s own report undercuts its core Russia-meddling claims », art. cit., p. 169.
59. Lire également « Nils Melzer déclare que le traitement de Julian Assange le laisse “sans voix” », supra, p. 72.
60. Lire également « Mettre fin à la torture et à la négligence médicale de Julian Assange », supra, p. 64.
61. Voir la vidéo de Gordon Dimmack, « I received a letter from Julian Assange », mise en ligne le 24 mai 2019 sur sa chaîne YouTube.
62. « Conversation avec Julian Assange » dans le complément de ce DVD.
63. Lire également « Mettre fin à la torture et à la négligence… », supra, p. 64.
64. Lire « UN expert on torture sounds alarm again that Julian Assange’s life may be at risk », sur le site du Haut Commissariat des Nations unies aux droits humains, 1er novembre 2019.
Avec l’aimable autorisation de l’auteur © Hacking Justice (Livre + Film en téléchargement)