2020
EXTRADITION ET « ESPIONAGE ACT »
20 février. Les avocats Éric Dupond-Moretti et Antoine Vey, qui ont rejoint l’équipe de défense d’Assange pour la France, annoncent en conférence de presse leur projet de solliciter un entretien avec le président Emmanuel Macron pour réclamer l’asile politique du fondateur de WikiLeaks.
24 février. Début des audiences à Londres pour statuer sur la demande d’extradition vers les États-Unis. WikiLeaks dénonce un conflit d’intérêts dans la désignation de la juge Emma Arbuthnot, dont le mari a présidé le comité spécial qui supervisait le ministère de la Défense et les forces armées britanniques (2005-2014) pendant les guerres d’Afghanistan et d’Irak. Des sociétés privées de défense et de sécurité en lien avec la juge ont été mises en cause par les révélations de WikiLeaks. Elle aurait aussi bénéficié d’avantages financiers pour ses prises de position. Depuis décembre 2018, son fils est vice-président de Vitruvian Partners, une société de protection des données créée par les services de renseignement britanniques suite aux fuites de Manning et de Snowden et dont le personnel a été recruté à la NSA et à la CIA. Si ces révélations de nombreux conflits d’intérêts poussent Emma Arbuthnot à désigner la juge Vanessa Baraitser pour la suppléer à la barre, elle reste en charge du procès 65.
12 mars. Après 301 jours d’incarcération et diverses formes de torture constatées par Nils Melzer, rapporteur spécial des Nations unies sur la torture, Chelsea Manning est libérée le lendemain d’une nouvelle tentative de suicide. Le juge Anthony Trenga a décidé que la comparution « n’est plus nécessaire » et que « son maintien en détention ne répond plus à un objectif de coercition », le grand jury venant d’être dissous. Manning, qui n’est pas pour autant graciée, devra payer une amende de 256 000 dollars (somme récoltée en 24 h par une collecte de fonds). Elle n’a jamais accepté de témoigner contre Assange comme Washington l’attendait d’elle. Elle s’engagera dans des luttes au risque de sa vie, notamment contre l’extrême droite états-unienne 66.
Aux visiteurs qui l’interrogent sur son espoir en l’avenir, prenant Manning pour exemple, Assange répète souvent un des fondements de WikiLeaks : « Le courage est contagieux. »
Avril. Dans un entretien au Mail on Sunday, Stella Moris, avocate de l’équipe de WikiLeaks, révèle qu’elle a eu deux enfants avec Assange alors qu’il était réfugié à l’ambassade d’Équateur à Londres. Elle a été poussée à prendre les devants car la juge Vanessa Baraitser a déclaré lors d’une audience que dans « l’intérêt d’une justice transparente », son nom et la nature de sa relation avec Assange devaient être révélés.
Juin. En préparation des audiences d’extradition, la juge Baraitser reprend les arguments de l’équipe juridique de Washington s’appuyant sur le témoignage du jeune activiste islandais Sigurdur Ingi Thordarson, alias « Siggi », qui coopère avec le FBI depuis (au moins) août 2011 en Islande afin de compromettre le fondateur de WikiLeaks. Thordarson affirme qu’Assange l’a encouragé à « commettre une intrusion informatique » pour voler les enregistrements audio de conversations téléphoniques entre fonctionnaires et parlementaires islandais. Du fait que l’Islande est membre de l’Otan, ce « témoignage » est à la base du troisième acte d’accusation par les États-Unis.
6 juillet. En France, l’avocat Éric Dupont-Moretti, qui n’a jamais pu obtenir un rendez-vous avec le président Emmanuel Macron au sujet de l’asile politique de Julian Assange, est nommé ministre de la Justice.
7 septembre-1er octobre. Après une pause de six mois due à la pandémie, reprise des audiences d’extradition. Assange est présent derrière la cage vitrée de son box, devant un public réduit par « mesure sanitaire ». Il ne peut pas communiquer avec ses avocats autrement qu’à l’aide de petits papiers glissés à travers une fente. Une salle adjacente est équipée d’une retransmission de mauvaise qualité pour suivre les débats, très peu d’autorisations ont été accordées – pas même pour Amnesty International ; près de cinquante ONG sont écartées 67. Seuls deux journalistes sont présents dans la salle (Craig Murray et John Pilger).
La vidéoconférence pour les journalistes hors de la salle est inaudible. La juge Baraitser accorde à l’accusation quatre heures d’interrogatoire par témoin et seulement une demi-heure aux avocats de la défense. Elle ne prend jamais de notes et lit des conclusions rédigées à l’avance.
La vidéoconférence d’un témoin est interrompue par la diffusion d’un discours de Donald Trump. Dans une attitude inhabituelle pour un procès public, la juge considère qu’elle en a assez avec les dépositions écrites alors que certaines datent de février et que les États-Unis ont fourni de nouvelles accusations depuis.
Après les accusations de piratage et d’espionnage sur lesquelles les témoins de la défense avaient travaillé, les États-Unis changent de stratégie pendant le procès, concentrant leurs attaques sur l’accusation de « mise en danger de vies ».
Daniel Ellsberg est appelé comme témoin par vidéoconférence. Pour préparer son témoignage, il a reçu 300 pages de nouvelles charges par courriel à 3 h du matin pour témoigner à 6 h (heure locale aux États-Unis). Ellsberg rappelle qu’en 1971, les Pentagon Papers qu’il a diffusés contenaient des milliers de noms et qu’il fut lui aussi qualifié de traître et calomnié par la presse 68.
La juge programme son rendu pour le 4 janvier 2021, « après les élections américaines », précise-t-elle.
Novembre. La flambée de cas de Covid-19 qui frappe l’aile de la prison de Belmarsh où est détenu Assange augmente encore son isolement.
4 décembre. Le démocrate Joseph Biden est élu 46e président des États-Unis d’Amérique. Donald Trump et ses partisans contestent le résultat et lancent une campagne médiatique et juridique pour « fraude électorale ».
65. Lire Delphine Noels, « Julian Assange, une vie. Épisode 33 », POUR, 2 janvier 2021.
66. Voir le documentaire de Tim Travers Hawkins, XY Chelsea, op. cit., p. 207.
67. Les comptes rendus des audiences par Craig Murray ont été traduits en français par Le Grand Soir. Voir « États-Unis contre Julian Assange : comptes rendus des audiences ».
68. Lire Jérôme Hourdeaux, « Journalistes et lanceurs d’alerte au secours de Julian Assange », Mediapart, 19 septembre 2020.
Avec l’aimable autorisation de l’auteur © Hacking Justice (Livre + Film en téléchargement)